Avancée scientifique importante

Pourquoi les piqûres de tiques induisent-elles une allergie à la viande rouge chez l'Homme ?

Les tiques transmettent des agents pathogènes responsables d'importantes maladies chez l'homme, comme la maladie de Lyme. Cependant, les piqûres de tiques peuvent également provoquer une allergie à la viande rouge, appelée « syndrome alpha-gal ». Contrairement à la plupart des allergies alimentaires, dans lesquelles les symptômes apparaissent quelques minutes après la consommation de l'allergène, les réactions allergiques liées au syndrome alpha-gal sont retardées. Les symptômes peuvent en effet apparaître quatre à six heures après un repas contenant de la viande rouge. La première mention de l'association entre les piqûres de tiques et l'allergie à la viande rouge remonte à 2007, lorsque l’australien Sheryl van Nunen a décrit 24 cas d'allergie à la viande associée aux morsures de tiques. Dès 2009, Thomas Platts-Mills a identifié la molécule à l'origine de ces réactions allergiques graves. Il a en effet découvert que les patients allergiques à la viande rouge présentaient des anticorps spécifiques de classe IgE vis-à-vis d’un sucre complexe appelé galactose-alpha-1,3-galactose (alpha-gal en abrégé).

Il était généralement admis jusqu’à présent que les tiques à l'origine du syndrome alpha-gal acquéraient des molécules alpha-gal du sang des animaux qu'elles piquent couramment, comme les vaches, les moutons et les lapins. Cette hypothèse postulait logiquement que lorsqu'une tique chargée d'alpha-gal piquait un humain, cette tique lui injectait de l'alpha-gal, induisant ainsi la production d’IgE anti-alpha-gal. Cette hypothèse implique que les larves de tiques qui n'ont jamais été nourries auparavant sur animaux ne peuvent induire le syndrome alpha-gal. Alejandro Cabezas-Cruz et ses collègues de l’UMR BIPAR (ANSES, EnvA, INRAE), localisé sur le site du laboratoire Santé Animale de l’ANSES (Maisons-Alfort) et d'Espagne se sont demandés si les tiques ne pouvaient pas produire leur propre alpha-gal, remettant en cause cette hypothèse. Dans un manuscrit publié dans la revue Scientific Reports (https://rdcu.be/7mlF), Alejandro Cabezas-Cruz a décrit la découverte de trois gènes de tiques codant pour des enzymes galactosyl-transférases capables de produire de l'alpha-gal. Lorsque des cellules humaines et bactériennes qui ne produisent pas naturellement d'alpha-gal ont été transformées avec ces gènes, ces cellules alpha-gal-négatives sont devenues alpha-gal positives. En outre, lorsque ces gènes ont été inhibés par RNA interférence, les taux d’alpha-gal dans les tiques ont diminué. Les chercheurs ont en outre montré que la bactérie pathogène transmise par les tiques, Anaplasma phagocytophilum, induit l'expression de l'un de ces gènes, entraînant une augmentation de l'alpha-gal dans les tiques.

Cette étude a deux implications principales. Tout d'abord, elle montre que les tiques n'ont pas besoin de se nourrir sur un animal pour acquérir l'alpha-gal. Par conséquent, la piqûre de n'importe quel stade de la tique, y compris les larves, peut induire un syndrome alpha-gal. Deuxièmement, les tiques infectées par la bactérie Anaplasma phagocytophilum peuvent avoir des taux plus élevés d'alpha-gal, augmentant la probabilité d'induire un syndrome alpha-gal. Cela fait apparaître sous un jour nouveau les interactions entre les tiques et les agents microbiens qu’elles peuvent transmettre, puisque les conséquences de cette infection microbienne des tiques peuvent non seulement être la transmission d’agents pathogènes aux animaux et/ou à l’Homme, mais aussi une aptitude accrue des tiques infectées à induire un syndrome allergique dans l’espèce humaine.